TAMKHARIT: GRAND YOFF AU RYTHME DU PROFANE ET DU FOLKLORE

Publié le par airsenegal

Jeunes filles, garçons et femmes déferlent dans les rues de Grand Yoff et Liberté 6 à partir 20 heures. Ils scandent « Tadiabone », ils dansent, vocifèrent, battent des tambours. Ceci après s’être remplis le ventre pour éviter d’être emportés par la mort. Une de ces nombreuses croyances profanes qui rythment la Tamkharit.

Les rues de Grand Yoff sont animées aux environs de 20 heures. Des femmes, des filles et des jeunes garçons convoient les bols de couscous pour les parents, les belles-familles ou les amis. C’est un jour où plusieurs personnes s’empiffrent de couscous.

L’excès de nourriture lors de la Tamkharit remonte à la nuit des temps. Elle prend sa racine de la peur d’être enlevé par les anges qui emporteraient ceux qui n’auraient pas beaucoup mangé. « On a l’habitude de dire que c’est le jour où les anges choisissent ceux qui vont mourir. Ils sélectionneraient ceux qui n’auraient pas beaucoup mangé. Raison pour laquelle les gens mangent beaucoup. Cette idée a été perpétuée au fil des temps », explique, Sadibou Sagna croisé à la Mosquée de Maka III, à quelques minutes de la dernière prière de la journée.

A Liberté L, cinq des filles s’activent autour de la grande marmite, chez Mme Fatou Diop. Le couscous est déjà prêt. Il reste la sauce. Habillée en grand boubou vert, Mme Diop veille au grain. Aucun détail n’est négligé dans la préparation du plat du jour : couscous à la sauce de tomate avec beaucoup de viande et d’ingrédients. La bonne dame soutient avoir déboursé 40.000 FCfa pour préparer un bon plat. Elle estime que tout est cher au marché. Il s’y ajoute qu’elle n’a jamais déboursé pareil montant pour célébrer la Tamkharit ». En plus, « ce jour nous donne l’occasion de servir un plat à tous nos parents, voisins et amis de la famille.

C’est une tradition que je respecte. Le partage est une valeur fondamentale dans notre culture », explique-t-elle. Dans un langage humoristique, elle renseigne que, selon la tradition, tout le monde est obligé de bien manger pour peser lourd sur la balance afin de bien commencer la nouvelle année.

Toujours selon cette tradition, c’est durant cette nuit que Dieu choisit ceux qui doivent le rejoindre dans l’au-delà et ceux qui sont appelés à continuer de vivre le nouvel an. C’est pourquoi l’on ne dit jamais ‘je suis rassasié’ la nuit de la Tamakharit », explique-t-elle. Lors de cette nuit, les gens mangent plus tôt que d’habitude.

 Dans beaucoup de familles à Liberté 6, l’on a mangé juste après la prière du crépuscule.

Afarat de Grand Yoff se réveille à 21 heures ce jour de Tamkharit. Les garçons crient à tue-tête. Ils battent leurs tam-tams fabriqués de pots de tomate couverts de peau de mouton. Ils entrent et ressortent des maisons et des boutiques. Les petits courent. Ils virevoltent. Ils s’engouffrent dans une boutique. Ils crient. Le boutiquier leur jette trois paquets de biscuits et lâche : « partez ! ». Des jeunes filles déferlent sur la ruelle donnant sur le garage Casamance de Sidya. « Tadiabone wollé » « Diougui Tadiabone », entonne-t-on partout. « C’est notre fête. C’est une fête musulmane », s’exprime une fille très excitée. Elle regagne sur la pointe des pieds ses camarades qui chantent à haute voix à l’intérieur de la boutique. Des garçons dans les habits de filles. Les roucoulements de tambours s’intensifient vers les bas-fonds où se trouvent les dernières baraques d’Arafat. C’est une foule de garçons vêtus de jupes et de haut rouge. Leurs lèvres brillent de rouge à lèvres. Ils dansent d’un d’air féminisé. Les gestes et leur accent ne laissent rien d’une femme. Ils attirent les passants. Un cercle de curieux se forme autour de ces garçons qui ravissent la vedette aux autres groupes. Le cliquetis de couvercle de marmite ou de bol monte à Arafat. Ibrahima Dieng porte des seins factices. Il s’élance et exécute des pas de danse comme une jeune fille. « C’est un jour de fête pour tous les musulmans. Nous devons célébrer ce jour de nouvel an », nous balance-t-il sur un ton ferme.

 On fait un détour et l’on se retrouve dans une ruelle sinueuse. De part et d’autre de celle-ci, les riverains devisent. Ils admirent la procession des jeunes garçons sous la houlette de Samba Faye, le batteur. Les jeunes sont enveloppés dans des tenues de fille. Ils ont les perruques, leur visage balafré de trois couches parallèles blanches et rouges. Le jeune Samba Faye et ses camarades se trémoussent, vocifèrent, poussent avec énergie les portes et s’invitent de force dans une maison. Ici, les mères de familles leur offrent des poignées de riz. « Nous sommes venus chercher du riz, du mil et de l’argent. Demain ou après demain, nous allons organiser un festin », justifie le jeune Samba Faye. De l’autre côté du rond-point « Monument », les femmes coiffées de chapeau et moulées dans les pantalons déploient une chorégraphie suscitant le rire. Dans ce concert de battements de tambour ou des ustensiles se mêlent les explosions de pétards. Le froid se fait sentir à minuit, emportant avec lui le vacarme de la célébration carnavalesque de la fête.

Idrissa SANE et Maké DANGNOKHO
Source Le Soleil

Publié dans AIR du Temps

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